Partie 5 - Nele appréhende ce qu'il est
Nele erra des millénaires durant, flottant dans un vide qui ne pouvait le faire flotter. Tombant dans des directions qui ne le faisaient guère graviter.
Un beau jour, on ne saurait dire le temps qui s’était écoulé, des millions d’années sans doute, un vaisseau spatial le percuta qui voyageait grâce à une technologie époustouflante.
La rapidité de l’appareil sortit de son voyage lumière au choc de Nele. Ce dernier n’avait pas changé mais son visage avait perdu ses traits d’humanité. Il était redevenu l’apparence humanoïde qu’il était à la sortie de la Prison Lunaire Secrète. Analyser à maintes reprises par les capteurs sophistiqués du vaisseau, il ne fut décrit de nouveau que comme un ONI. Un Objet Non Identifié. Mais cette fois-ci, peut-être était-il devenu plutôt un OICAOC, à savoir un Objet Identifié Comme Aucun Objet Connu.
Pour cette espèce, capable de voyager à travers les étoiles, c’était là la première rencontre avec quelque chose dont ils ignoraient l’existence.
Nele fut récupéré à bord et accueillie avec beaucoup plus d’empathie qu’il en eut reçu depuis qu’il vécut.
Peut-être était-il dangereux ? Peut-être était-il différent ? Eux aussi, ces Aliens, étaient des êtres humanoïdes doté de conscience dont le savoir aurait dépassé l’entendement humain. Mais avec Nele, c’était l’inverse.
Ils ne s’expliquaient pas être face à quelque chose, voire quelqu’un qui détournait toutes les connaissances qu’ils avaient accumulées, observées et vérifiées depuis aussi longtemps qu’il était possible de les vérifier.
Nele, quant à lui, réagit paisiblement à cette nouvelle expérience. Une chose était sûre, son évolution ne s’était pas arrêtée à la destruction de la Voie Lactée. Non, il n’avait jamais cessé d’évoluer, le rendant toujours plus incroyable qu’il pouvait l’être à l’origine.
Une musique retentit. Etait-ce une musique ? Un boom, suivit d’un autre boom. Des bruits de métaux, des cris. Un son, une mélodie. Nele recevait l’agitation ambiante comme des vibrations sonores que tout son être pouvait capter et ressentir. Mais là où aucuns yeux ne pouvaient l’aider à voir, une bataille spatiale avait lieu.
Le vaisseau dans lequel il se trouvait était assaillit par des bombardements d’un autre vaisseau, bien plus gros, bien plus armé et évidemment bien plus dangereux. Quand il se retrouva tout seul, dans cet immense hangar, il crut d’abord ressentir à nouveau cette solitude de l’isolement total et se sentit prêt à recommencer la destruction de son oppresseur. Mais avant que cela n’arrive, un jeune individu s’approcha de lui pour lui attraper la main. Il ressentit alors. Il ressentit la peur de cet inconnu. Nele ressentit que ce jeune était terrorisé. Qu’à chaque son qu’il interprétait comme celui d’une mélodie, le jeune se crispait, et la main qui le tenait se fermait davantage.
Nele pouvait ressentir jusqu’à la moindre contraction musculaire, et se concentrant, il pouvait voir l’agitation excessive des neurones qui traversaient tout le cortex cérébral. Il pouvait les suivre, les analyser, et enfin, les comprendre.
Il n’avait plus besoin de voir. Il pouvait ressentir absolument tout. Se projeter à des millions de kilomètres de sa localisation et observer l’évolution d’un atome, son déplacement dans l’espace, sa transformation. Là, il se concentra sur le vaisseau, sur tous les passagers affolés, convaincus qu’ils étaient à la fin de leur existence. Nele pouvait le ressentir, il pouvait le comprendre avant même que l’information soit créée dans leur propre corps. De l’autre côté des missiles et des rayons destructeurs, il ressentait l’adversaire, il ressentait ses convictions militaires, ses intentions meurtrières. L’agresseur était un ennemi connu, reconnu, et dangereux pour la sûreté de ce peuple dont il ignorait tout si ce n’était qu’il l’avait récupéré sans l’enfermer, et était terrifié à cet instant, atteignant enfin, quelques secondes après Nele, la pensée qu’il en était fini d’eux.
Nele savait. Il avait détruit tout depuis qu’il était devenu autrement plus évolué que l’origine humaine qu’il était. Mais à présent, il pouvait décider. Il pouvait sans le moindre effort, décider de sauver ceux qui lui tendait la main.
Il lâcha celle du jeune et faisant un pas en avant, sa vitesse le transporta à travers la moindre particule qui pouvait exister dans l’infiniment petit, traversant matière et cellule, traversant le temps et l’espace. Quand son pied toucha à nouveau une surface, il n’était plus dans ce hangar au côté de l'enfant, mais sur la coque du vaisseau qui subissait les bombardements. Il était là, à l’extérieur, dans le vide, et captait les détonations et la destruction qui se proclamaient haut et fort devant lui.
Elle lui disait ces mots : « je suis la destruction et cet objet plein de petits êtres sont miens. »
Alors Nele, répondit sans voir ni sans parler. Il répondit. « Je suis ta destruction. Tu es mienne. »
Il leva le bras droit, et comme si le vaisseau adverse fut un dessin sur un bout de papier, il passa simplement sa main devant son visage sans expression, effaçant l’adversaire comme s’il venait d’effacer le dessin. La désintégration suivit le geste et la Destruction s’inclina devant Nele qui, sans voir ni sans parler, termina par : « La Destruction est Détruite par ma main. »
Il fit demi-tour sur lui-même et tandis qu’il leva à nouveau la jambe pour avancer d’un pas, son pied se posa à l’intérieur du hangar, au côté du cadet, traversant tout ce qui semblait infranchissable.
Nul ne pouvait croire que cela se soit passé, mais il savait que la peur disparaissait enfin et que l’incompréhension se soumettrait à une explication logique dès que l’illogisme se ferait évincer par la réflexion.
Seul, peut-être, que le jeune savait qu’il fut sauvé par cet individu, dont le visage humain réapparaissait peu à peu devant lui.