La Sélection dans l'URSS
Cette organisation tenue secrète met à disposition tous les 7 ans, une zone de non droit et une zone de protection légitime. Toute la ville de Moscow est alors plongée dans la guerre et le conflit, tandis que les participants s’arrachent les vivres, les armes et parfois la vie des autres afin de survivre et d’atteindre le lieu protégé.
Si tous peuvent participer à cette quête de pouvoir, tous savent aussi qu’ils mettent leur vie en danger de mort. Les milices et autres individus de la population s’arrachent des armes et des pièges afin de capturer les participants et de les rendre à la justice pour obtenir une coquète somme et s’assurer sept prochaines années de plénitude et d’oisiveté.
Une fois que les participants réussissent à atteindre la zone de protection, un calice d’origine inconnue et dont personne ne comprend sa source, est déposé sur une table. Tenue en main par les participants, il se remplit d’un liquide de couleur noir, rouge ou bleu en fonction des caractéristiques du buveur, respectivement sage, courageux ou téméraire, et dont le contenu doit être bu afin d’obtenir des avantages physiques et psychiques pour gouverner.
A l’issue de cette sélection par le calice, les participants sont départagés par leur couleur de breuvage et leur ordre d’arrivée. Du nouveau Chef de l’Etat, aux conseillers et chef des armées.
La Sélection d'Ikov Naranovski
Au semblant retiré et à l’âge marqué, Ikov était le plus âgé de tous les participants du siècle. Il n’avait pas de qualifications militaires ni de connaissances suffisantes dans les armes et la stratégie, et son apparence paysanne laissait présager une défaite aussi rapide que violente.
Lorsque commença la chasse à l’homme à Moscow, zone de non droit devenue un massacre géant à échelle humaine, Ikov s’était retrouvé à plusieurs reprises obligé d’assister aux atrocités de ses semblables sans qu’il ne pût jamais rien faire. Les cris des femmes, les hurlements des mères devant les arrestations féroces de leurs enfants, ou encore les pleurs des garnements emmenant leur propre père à la guillotine, au bûcher ou à la pendaison. Toute cette agitation funeste n’avait guère de sens pour Ikov. Son seul souhait était d’atteindre le pouvoir et d’en trouver une opportunité pour défaire ce qui lui avait tout ôté, à l’exception faite de son humanité.
Le troisième soir qui suivit l’ouverture de la zone de non-droit, tous les survivants qui concouraient, gardèrent à l’esprit que croiser un autre survivant signifiait faire face à leur pire ennemi. Mais cette fois-là, tandis qu’Ikov avait trouvé à manger dans les bois limitrophes de Moscow, partiellement brûlé et dont les ruines de nombreux immeubles jonchaient les troncs arrachés et la flore dévastée, il entendit de nombreux pas venir dans sa direction.
Il lâcha aussitôt son repas et sauta sous les décombres de béton sur son flanc afin de ne pas risquer d’être vu. Il entendait les cris des chasseurs ordonnant d’avancer. Des pas se rapprochèrent, de plus en plus proche, jusqu’à se trouver au-dessus de lui et s’arrêtèrent aussitôt.
Dans le silence et l’angoisse la plus intense qu’il eut ressenti, il glissa sa main sur une barre de fer poussiéreuse, serrant les dents, espérant de toutes ses forces que le bruit des pas reprendrait et s’éloignerait. C’est alors qu’avec sursaut, il vit apparaître devant lui, glissant à sa hauteur, une femme recouverte de boue et de suie, s’élançant sur lui, et attrapant sa main armée de la sienne, elle recouvra sa bouche de son autre main empêchant Ikov d’émettre le moindre son.
L’instant d’après, et tandis qu’il s’apprêtait à se débattre, il entendit le tumulte des pas de chasseurs arrivés à leur hauteur, piétinant les décombres, s’exclamant des horreurs sur leurs intentions autant malsaines que macabres.
Elle le regardait droit dans les yeux, cherchant à obtenir son consentement pour qu’aucun ne se déclare la guerre tant qu’ils ne seraient pas hors de danger.
Ikov desserra la poigne de sa main, laissant la barre de fer sur le sol, et se redressa à mesure que l’autre retira l’emprise qu’elle exerçait. Comme ils s’assirent tout deux face à face, le rescapé pris le temps de la regarder et d’en apprécier les traits. Une femme courageuse, tenace, forte, et malgré tout sans animosité. Il ne la craignait pas comme il aurait pu en craindre d’autres. Déjà les assaillants étaient loin, mais elle ne bougea guère de son siège de béton et ne fronçait ni les sourcils, ni ne serrait les poings.
Ils firent connaissance et Ikov en apprit autant qu’il put de Tatiana. Cela dura de longues minutes, jusqu’à ce qu’ils entendent ensemble sonner les premières cloches. Leur tintement annonçait l’arrivé d’un participant. Si quatre atteignaient en vie la zone de protection, alors tous les autres seraient déclarés perdants et seraient pourchassés pendant les sept prochaines années. Nul n’avait jamais réchappé à ces sept ans de cavale.
Ikov savait qu’il ne faudrait plus longtemps, sur les milliers de participants, avant que quatre autres n’atteignent ce lieu. Il était décidé à reprendre la route. Il proposa son aide à Tatiana qui, avec le seul sourire qu’il eut d’elle, l’abandonna aussitôt et s’échappa dans la direction opposée.
Au bout de plusieurs heures de marches à guetter le moindre mouvements suspects et dangereux, Ikov atteignit enfin la zone de protection. À son entrée, la voie était toute dégagée, mais un homme le bouscula pour lui passer devant, et quand il tomba à la renverse, il observa les mines à fragmentation déchirer le corps du plus pressé, et ses membres rebondissant sur le sol tout autour créèrent des explosions à la chaine, activant les mines spécialement prévues à ce feu d’artifice lugubre.
Son visage recouvert de sang et de terres l’empêchait de pleurer toutes les larmes de son corps, meurtri par cette civilisation, et dans un dernier effort, il traversa les restes de l’autre, et atteignit l’entrée de la place protégée. De chaque côté, des hommes recouverts de toiles de la tête au pied lui lancèrent plusieurs sauts d’eau chaude, le rinçant brièvement, avant de l’inviter solennellement à approcher de la table et du calice où déjà trois autres participants avaient bu.
Tremblant de terreur et d’angoisse, songeant à ce qu’il venait de voir comme à ceux qu’il voyait tout juste, amusés et souriant d’être ces survivants, Ikov atteignit la table sur laquelle il posa ses deux mains et pencha son regard au creux du récipient.
« Allez, goutes-y ! » Lança l’un des trois en ricanant bêtement.
Tous se mirent à rire, ivre de leur réussite, ivre oui, comme s’ils cherchaient à feindre ce qu’ils avaient enduré.
À son tour, Ikov attrapa la coupe entre ses mains, la monta jusqu’à ses lèvres, y déposa le métal et se mit à boire tout le fluide qui y apparut. Ses gorgées se succédèrent comme si la source ne s’estompait plus. Il continua encore, et encore, laissant apparaître au coin des lèvres, sur ses joues et jusqu’au sol, ces torrents de noir, de rouge, de bleu, de vert, de jaune, de violet et de cyan.
Il continuait à boire tandis que les trois autres se levèrent en un instant, sans aucun éclat de rire, sans aucun soupire, mais par stupéfaction et crainte. Ils se regardèrent tandis que l’autre buvait encore et encore, pleurant les hommes, les femmes et les enfants qu’il avait vu disparaître jusqu’ici. Puis Ikov s’effondra au sol lorsque le premier coup fut donné. Le plus grand des trois le frappa au ventre, puis au visage, puis au dos, et continua ses gestes violents tandis qu’il toussotait et crachait face contre terre. Le second, ramassa le calice, le tint fermement entre ses mains pour obtenir le même breuvage, mais seul le liquide de la même couleur qu’il obtenu plus tôt apparu de nouveau. Quant au troisième, il murmurait alors sous le regard acharné et dévasté des deux autres, qu’il n’existait pas dans l’histoire, de breuvage d’autres couleurs que le noir, le rouge et le bleu.
« Ikov Naranovski ! S’exclama l’un des observateurs recouverts de toile, levez-vous ! »
Mais Ikov fut projeté hors de la zone de protection par son féroce assaillant, là où les chasseurs assoiffés de sang attendaient avec intérêt. Ils se jetèrent sur lui pour le défaire de ses biens, tandis que les plus fous tentèrent de lui grignoter le visage afin de s’accaparer les fluides sacrés qu’il venait d’ingérer.
« Ikov Naranovski, levez-vous ! »
Et de lui naquit plus de puissances que nul n’en avait jamais vu, éjectant les assaillants autour de lui. La secte s’inclina aussitôt, les cloches retentirent et le siège de Moscow s’acheva. Du Néant macabre se leva Ikov Naranovski, l’Espoir de la nation.
24/05/2021